Le Président du PArti des Démocrates pour l’ESpoir (PADES) dénonce le recul démocratique. Dr. Ousmane KABA fait constater l’attitude de deux poids, deux mesures du régime qui protège les pro-3ème et de l’autre, réprime les anti-3ème mandat. Toutefois, il invite le Front National pour la Défense de la Constitution (FNDC) dont il fait partie à recourir désormais à un large consensus avant de publier toute liste de fossoyeurs de la Constitution. Et à cette allure du processus électoral, il doute de la tenue des législatives cette année, met en garde sur les risques de glissement au-delà de 2020 non sans mettre au défi le régime Condé qu’il dit « incapable », depuis 9 ans, de « relier même deux villes guinéennes par le goudron ».
Le Populaire : Les forces vives de la nation se sont constituées en Front national pour la défense de la Constitution (FNDC) le 4 avril 2019 et dont vous faites partie. Expliquez-nous ?
Dr. Ousmane KABA : Le FNDC s’est mis en place en réaction à des velléités et des syndromes d’un 3ème mandat. La Constitution de 2010 prévoit en son article 27 que le Président de la République est élu pour un mandat de 5 ans renouvelable une seule fois. C’est ce qu’ils ont en train de remettre en cause aujourd’hui. Devant l’impossibilité de vouloir modifier les intangibilités, ils ont commencé à parler de la mise en place d’une nouvelle Constitution. Qui, selon les indiscrétions, prévoit deux mandats de 6 ans et un Vice-Président ainsi que des candidatures indépendantes aux élections nationales. L’objectif de la nouvelle Constitution est de permettre un 3ème mandat. C’est dans ce cadre qu’il y a eu le front regroupant toutes les forces vives de la nation pour s’opposer à la nouvelle Constitution.
Quelles ont été les actions menées ?
Le front est une organisation hétéroclite qui comprend à la fois les partis politiques, la société civile et le syndicat, etc. Quand vous avez un tel conglomérat d’organisations diverses, les moyens de lutte sont différents. Au niveau des partis politiques, nous avons fait notre travail de sensibilisation en expliquant aux populations les tenants et les aboutissants d’un 3ème mandat. Parallèlement, il y a eu des tentatives de descente sur le terrain pour des marches et ou des meetings qui ont été interdites et stoppées. Alors qu’en même temps, lorsque c’est les organisations qui encouragent le changement de la Constitution, leurs marches et meetings sont tolérés par les pouvoirs publics. Il y a eu des échauffourées presque dans toutes les grandes villes de la Guinée. Malheureusement, le cas le plus récent à Nzérékoré, il y a eu un mort.
Que pensez de la publication de la liste des fossoyeurs de la Constitution ?
Personnellement, je dois dire que je n’ai pas été associé à la publication de la liste. Mais, c’est un élément qui rentre dans la lutte contre le 3ème mandat. Je n’étais pas là. La dernière réunion à laquelle j’ai participé n’était même pas sur agenda. L’objet c’est de mettre en garde les principaux responsables qui mettent en mal la stabilité de la Guinée.
Deux listes de 35 personnes dont deux avocats, le sénégalais Me. BOUCOUNTA DIALLO et le français, Albert BOURGI ont été publiées par le FNDC. Quels sont les critères qui ont servi à leur élaboration ?
Je suis un peu mal à l’aise pour commenter puisque je n’ai pas participé à la décision. Je vais quand même attirer l’attention de tout le monde qu’il faut un large consensus pour ça.
Un mort a été enregistré à Nzérékoré. Selon vous qu’est-ce qui a provoqué les violences ?
Nous regrettons profondément ce qui est arrivé puisque ça ne devait pas arriver en Guinée. Nous sentons bien qu’il y a des restrictions des libertés publiques. Depuis très longtemps, nous voyons les indices. Le gouvernement n’autorise plus les partis politiques. Tellement l’administration était de mauvaise foi qu’à la naissance du PADES, il a fallu que nous traînions le gouvernement devant la Cour suprême où nous avons eu raison. Et puis, après, nous avons obtenu l’agrément du parti. Le gouvernement n’accorde plus d’autorisations pour les radios libres. La presse est en pleine restriction. C’est un très grand recul démocratique. Sinon, le Président de la République a dit publiquement que c’est au peuple de s’exprimer dans un sens ou dans un autre. Nous notons seulement sur le terrain, que les mouvements pro 3ème mandat ne sont pas inquiétés. Tandis que les mouvements anti 3ème mandat sont réprimés. C’est une situation que nous déplorons. Alors que ce sont ceux qui sont contre un 3ème mandat, qui sont dans la légalité de la Constitution actuelle. Donc, ce sont les promoteurs qui devraient être pourchassés. Nous regrettons cette violence parce que nous devrons être capables de faire des débats politiques sans qu’il y ait de la violence dans le pays. La stabilité et la quiétude c’est très important.
Le Front accuse le Député Amadou DAMARO CAMARA et le Ministre Sanoussy BANTAMA SOW d’avoir provoqué l’affrontement en appelant à traquer les membres du Front partout où ils se trouvent. Est-ce que c’est lié ?
Ce qui est sûr, les appels à la violence par les hommes publics mènent toujours à la violence. C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles la CPI intervient pour mettre en garde ceux qui prônent la haine spécifiquement les hommes politiques qui sèment les germes de la violence. Ce sont des propos qu’on ne devrait pas pouvoir tenir dans ce pays-là.
Vos collègues de l’opposition accusent la CENI de connivence avec le gouvernement dans la conduite de la procédure de recrutement de l’opérateur. Qu’en pensez-vous ?
Je n’avais pas assisté, là aussi, à la réunion. Peut-être qu’il y a eu un manque d’explication. Mais, en réalité, il ne s’agit du recrutement d’un nouvel opérateur, mais d’acheter un logiciel de traitement de la base des données du fichier.
A cette allure, pensez-vous qu’on puisse aller aux législatives en 2019 ?
Je commence à avoir des doutes parce que la CENI ne peut que proposer un calendrier. Et que c’est au gouvernement de faire les décaissements nécessaires pour que la CENI puisse avoir sa vitesse de croisière. Par le passé, nous savons que le gouvernement traine les pieds chaque fois qu’il faut décaisser de l’argent. Ensuite, la CENI est obligée de revoir le chronogramme qui est proposé. C’est ça le schéma du glissement. J’ai bien l’impression qu’on commence déjà à glisser.
Risquons-nous un syndrome congolais ?
Le concept de 3ème mandat a trois facettes. La première chose c’est modifier la Constitution. Si cela ne passe pas, on fait la 2ème étape qui consiste à introduire une nouvelle Constitution. Si cela aussi ne marche pas, la 3ème facette consiste à laisser glisser les différentes élections qu’on appelle le syndrome KABILA. J’ai bien l’impression que le gouvernement est en train de tâter de tous les côtés.
Peut-on donc s’attendre à un couplage entre les législatives et les Présidentielles en 2020 ?
Je pense que c’est une très mauvaise idée parce qu’il faut savoir que le mandat des Députés est échu depuis très longtemps. J’ai été le seul Député à avoir renoncé à siéger à l’Assemblée nationale. J’avais attiré l’attention de tous les collègues qu’il fallait se retirer parce que nous n’avons plus le mandat du peuple. Les Députés de l’opposition ont préféré sauvegarder leur intérêt personnel. Aujourd’hui, notre Assemblée nationale est illégitime parce qu’elle siège par la volonté d’un décret du Président de la République. Ce qui est un mélange de genre puisque le pouvoir Exécutif et le pouvoir Législatif sont tous élus par le peuple de Guinée. C’est une anomalie de la démocratie. Si en 2020, le Président de la République, ne respecte pas aussi son échéance ça va être difficile. Et les Députés n’auront pas la légitimité nécessaire pour empêcher ce glissement de calendrier électoral. C’est l’un des handicaps en termes d’actions du Front national pour défendre la Constitution.
Vous avez quitté le parlement parce que vous ne vouliez pas cautionner la violation de la loi. Êtes-vous à l’aise d’être avec « les Députés périmés » dans la lutte contre le 3ème mandat ?
On peut toujours continuer à travailler ensemble. Je veux simplement dire que cela réduit la crédibilité. On n’a pas besoin d’avoir les mêmes points de vue sur tous les problèmes. Ce qui nous réunit c’est empêcher un 3ème mandat.
Quelle lecture faites-vous de l’économie guinéenne ?
Ces dernières années, nous avons eu un taux de croissance élevé qui est brandi actuellement par le gouvernement. C’est à la fois vrai et faux. C’est vrai dans le sens que c’est un taux de croissance qui vient du Produit Intérieur Brut (PIB). Généralement, on le fait en Afrique par manque des statistiques. Le PIB est un concept géographique. Cela concerne l’ensemble des richesses produites en Guinée d’une année par rapport à l’autre. Mais, cette richesse n’appartient pas aux guinéens. Nous aurions dû calculer l’autre concept qui est le Produit National Brut (PNB) qui est la richesse appartenant aux guinéens.
La croissance économique est, en grande partie, tirée par l’exploitation de la bauxite. Qu’en est-il dans la réalité ?
J’ai souvent dit que la bauxite ne va pas permettre le développement de la Guinée parce qu’il ne consiste qu’à ramasser la terre rouge que j’appelle le pacte colonial. Les pays qui n’ont pas de bauxite, mais qui ont eu l’idée d’usines d’alumine tirent profit de notre bauxite plus que nous. D’abord, en termes des taxes et des redevances, il n’y a pas une grande contribution du secteur minier notamment bauxitique dans le budget de l’Etat. A part la CBG, pratiquement ces entreprises ne paient pas grand-chose à l’Etat guinéen. Malheureusement, la seule usine d’alumine, Friguia, que nous avons date de 1955 sous la période coloniale. Le gouvernement a adopté une très mauvaise stratégie qui consiste à exporter la matière à l’Etat brut. Premièrement, l’Etat ne gagne rien. Deuxièmement, ça crée très peu d’emplois. En réalité, ça ne crée que des emplois de chauffeurs, de machinistes. Malheureusement, les emplois sont créés dans les autres pays qui transforment en alumine puis en aluminium notre bauxite. Ça tire très peu la production agricole parce que la consommation des entreprises bauxitiques est consacrée sur les importations. Par exemple, si toutes les entreprises consommaient du riz local, on pouvait dire que ça tire la production locale. Mais, ce n’est pas du tout le cas. Pratiquement, tout est importé. Le dernier c’est la sous-traitance qui ne concerne qu’en réalité que les camions qui transportent la bauxite. Là aussi, l’impact est minime sur l’économie guinéenne.
Quel est impact sur l’environnement ?
Cela provoque des dommages à l’environnement. Vous avez des milliers de villageois qui sont déplacés. Les terres cultivables se font rares. Les rivières tarissent. Ces milliers de villageois retombent dans une plus grande pauvreté encore qu’avant. La production agricole est handicapée. L’air est pollué et la vie des milliers de personnes est affectée. La destruction du couvert végétal provoque aujourd’hui la sécheresse. Nous sommes le 21 juin 2019 (jour de l’interview, ndlr), il n’y a pas des grandes pluies jusqu’à présent. Nous assistons à un changement climatique accéléré. Même s’il y a le changement global sur la terre, ça va plus vite en Guinée qu’à ailleurs. L’une des raisons, c’est le déboisement sur des grandes surfaces dans la région de Boké au nord de la Guinée. Ce qui est en train d’impacter directement au niveau de la pluviométrie à Conakry et au niveau de l’agriculture dans notre pays.
L’érection de Boké en Zone Economique Spéciale (ZES) n’est-elle pas la solution ?
Je ne vois absolument rien de spécial à Boké si ce n’est pas les entreprises bauxitiques. Il n’y a pas d’installation d’unités industrielles autres que ça. Il n’y a pas d’usines de chaussures, de textiles ou bien d’usines de tomates en grande quantité pour créer des emplois et qui ne paient pas d’impôts pour encourager l’implantation des usines. C’est ce qu’on appelle zone économique. Ici, c’est juste un jeu des mots qu’on emploi pour détaxer les entreprises bauxitiques qui prennent pourtant la richesse guinéenne. Quelques soit les régimes de défiscalisation, les entreprises devraient payer des redevances minières. Ce qui n’est pas le cas. Donc, la Guinée est en train d’être décimée pour rien.
Quel est votre constat sur les infrastructures ?
Ce gouvernement n’a pas été capable en 9 ans de relier par une route goudronnée deux villes guinéennes. D’ailleurs, ils n’ont pas été capables de mettre le goudron sur la route Conakry-Kindia. Il n’y a pas des routes, ni en Moyenne Guinée, ni en zone forestière à plus forte raison en Haute Guinée. Malgré qu’on a, soi-disant, dépensé plus de 2 milliards de dollars. Je ne sais pas où est parti cet argent parce qu’au minimum ça signifie 2 000 kilomètres de route à raison de 1 millions par kilomètre. A par ça, il y a le chemin de fer qui a été saboté en 2011. On se rappelle tous que le Président Lula du Brésil était venu ici pour poser la première pierre. On nous a expliqués que l’écart entre les rails était d’un mètre et qu’il fallait faire 1,40 m. C’était un argument pour arrêter le chemin de fer Conakry-Kankan. Depuis lors, personne n’en parle plus.
Admettez-vous quand même l’impact de l’investissement dans le secteur de l’énergie ?
Malgré des gros investissements sur les barrages de Konkouré (Kaléta et Souapiti, ndlr), il n’y a eu aucun investissement à l’intérieur du pays notamment en Guinée Forestière et en Haute Guinée. Alors que nous avions préconisé qu’il fallait faire des mini barrages pour éclairer toute la zone. Ce sont ces barrages qui auraient pu permettre le décollage de l’agriculture à l’intérieur en permettant l’implantation de l’agrobusiness, l’agro-industrie, mais ça n’a pas été le cas. C’est vrai que dans le domaine de l’électrification, il y a eu des efforts, mais qui n’ont pas des résultats concrets pour satisfaire la demande même dans la ville de Conakry. Alors que plus de 3 milliards ont été investis dans le secteur.
Contrairement à vous, les institutions de Breton Wood notamment le Fonds Monétaire International (FMI) estiment que l’économie guinéenne est dans une dynamique positive. Qu’en pensez-vous ?
J’étais fonctionnaire du FMI, il y a 30 ans. Donc, je sais très bien de quoi je parle. Le FMI se base sur le PIB qui n’est qu’un concept géographique pour calculer la croissance. Cela ne se transforme pas du tout par l’amélioration du niveau de vie des guinéens. Contrairement au PNB qui calcule la richesse qui appartient aux guinéens. Malgré qu’il y ait eu un taux de croissance assez élevé sur deux années, cela n’a pas permis d’améliorer le niveau de vie des guinéens. D’ailleurs, le dialogue avec le FMI a été perturbé ces derniers temps puisqu’ils ont constaté une disparition de la redevance d’Orange et de la dette prise auprès de Qatar. Ils ont suspendu le dialogue.
Le FMI nie avoir publié un quelconque rapport là-dessus ?
Il n’y a pas eu de rapport là-dessus. Je dis que le dialogue était devenu difficile à cause de cela.
L’université Kofi ANNAN a été récemment accréditée par l’Autorité Nationale d’Assurance Qualité (ANAQ). Qu’en est-il ?
Pour une fois, le ministère de l’Enseignement supérieur s’est occupé de la qualité de l’enseignement en mettant en place une agence pour la qualité de l’enseignement (ANAQ). Les premiers travaux de cette agence ont donné le label de qualité à 5 filières pour l’ensemble des universités guinéennes. Kofi ANNAN a raflé deux filières : ingénierie et droit. Nous avons 8 autres filières que nous allons faire accréditer l’année prochaine. Il faut savoir également que Kofi ANNAN a gagné le label de qualité au niveau panafricain par le CAMES (Conseil Africain et Malgache pour l’Enseignement Supérieur) en ce qui concerne la médecine. Ça veut dire que si vous êtes formés chez nous en médecine, vous pouvez directement travailler dans un hôpital à Dakar, à Paris ou à Lubumbashi. Cela veut dire qu’en Guinée aussi on peut arriver à quelque chose si on se base sur la qualité. Donc, j’en suis très fier.